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21 septembre 2016

Avis de Tempête - Susan Fletcher

Voici un roman bouleversant de poésie, de tendresse, de souffrance et d'amour.

Trés bien écrit, on se laisse emporter par l'histoire de Moïra ....

A lire absolument !

avis de tempête

Moïra se rend tous les jours au chevet de sa soeur cadette, qu'une chute, cinq ans auparavant, a plongée dans le coma. Année après année, la lassitude gagne Moïra, qui ne se pardonne pas d'avoir été une soeur lointaine. Comme pour rattraper le temps perdu, elle retrace devant la jeune fille inconsciente son existence de fille sauvage et revêche, sensible pourtant, une vraie " fille de la mer " et des vents glacés des Cornouailles

EXTRAIT :

Cela fait quatre ans. Quatre - et combien de mois ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus. Il me reste les années, mais j'ai perdu les unités de temps plus petites, plus pâles - les semaines, les jours et, en leur sein, les heures muettes. Elles m'ont quittée, ou peut-être du moins, mon désir de les compter. Jadis, je comptais : les minutes et les bruits de ton coeur ; les secondes sur ma montre. Je regardais venir les saisons : les arbres changer, les pousses jaillir de la terre, et les gelées, et je voyais ton fantôme fragile s'éloigner à travers les champs labourés. Je me disais : l'année dernière... et je t'imaginais telle que tu étais alors - en train de manger, ou dans l'herbe. Et c'est de cette façon, ma douce, que je mesurais nos vies, au début : par des retours, par la lente rotation silencieuse du monde. J'ai compté quatre citrouilles, quatre mois de mai printaniers. Des pins, des jours fériés ; une année bissextile. J'ai compté dix mille marées, Amy. J'étais la fille au boulier. C'est la nuit que je comptais tout ça.
J'étais dans l'espérance.
Dans l'espérance, comme une mariée, et soulagée, car ce n'était pas là une mort. Au début, c'est ce que j'avais cru. Tout le monde. Elle n'est pas morte, donc tout ira bien, voilà ce que je me disais. Je m'asseyais, je calmais ma respiration, et j'imaginais tel ou tel avenir avec toi - rétablie, avec une peau de fruit mûr, toutes tes blessures guéries. Tout ce que je trouvais de doux, de lisse, je te l'apportais, je le posais sur ton lit, parce que je me disais que cela devait te manquer, un monde qui contient de telles choses - de la lavande, des coquilles d'oeufs, ou la peau sèche, transparente, d'une vipère abandonnée sur une pierre. Je disais : Il neige. Ou bien : Les fraises sont précoces. Til envoya une carte postale, et je te la lus. Elle parlait des déserts, et de leurs ciels immenses, sans nuages, si bien que l'espace d'un instant cette chambre n'eut plus des murs verts, et nous n'étions plus dans une ville, loin de la mer, avec ton odeur aigre et ton coeur fragile, malade.
J'ai dit aussi : C'est comme ça, ma douce, qu'on marche. En appuyant mon poing contre la plante de tes pieds et en repliant tes orteils, à la manière des chats.
Et maintenant ? Ai-je gardé l'espérance ? L'espoir que tu retrouves ta vie d'avant ? Peut-être. Mais l'espoir, c'est comme tout. Il perd de sa fraîcheur, de son velouté, il racornit. Je suis plus vieille, j'ai cessé de compter, ou de peler des oranges dans ta chambre pour la parfumer, et je n'apporte plus de coquillages pour les coller contre ton oreille. Je ne te parle plus de ton médecin couleur noix de cajou qui t'a recousue, t'a sauvé la vie et connaît l'obscurité de tes entrailles. C'est un homme solitaire, je crois. J'ai vu ses yeux.
C'est fini, les coquilles d'oeufs et les chansons. Faut-il m'en vouloir ? Je ne suis plus qu'une pauvre visiteuse qui regarde les arbres par la fenêtre mais sans te les décrire. Et puis je suis fatiguée. Trouve une pierre, soupèse-la : je suis lourde comme elle. Oui, j'ai le coeur aussi lourd. Je ne viens plus déposer sur ton lit un joli monde inventé. A quoi bon ? A quoi cela a-t-il servi ?

 

 

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